RGPD : demander si l'on est un homme ou une femme peut être illicite

Désormais, exit la possibilité d'exiger d'une personne qu'elle indique si elle appartient à la catégorie "Monsieur" ou "Madame".

Plus exactement, tel est le cas pour de nombreux contrats. Et nous passons chaque jour des contrats : l'achat d'une baguette chez le boulanger est un contrat de vente, le transport en commun est un contrat de transport, etc. 

 

RESUME

Dans un arrêt du 9 janvier 2025, la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) considère que la collecte d'une information de civilité "Madame" ou "Monsieur" par la SNCF n'est pas nécessaire à l'exécution du contrat de transport ou aux fins d'intérêts légitimes. En clair, le traitement de données personnelles relatives à la civilité des clients de SNCF Connect est illicite. A tout le moins, il est aujourd'hui mal fondé, notamment dans la mesure où il ne repose pas sur le consentement des intéressés. En effet, selon le principe de minimisation, la collecte de données à caractère personnel doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire, sauf consentement de la personne concernée, n'en déplaise aux usages, conventions sociales et à la préservation de la diversité culturelle et linguistique. L'affaire a été lancée par une association LGBTQI+. L'arrêt du 9 janvier 2025 pose des questions qui dépassent le simple volet juridique lié au RGPD.

 

POUR EN SAVOIR PLUS

 

L'association Mousse

L'association Mousse se présente comme "les Justiciers de LGBTQI+" : "Nous agissons en justice contre les propos, les violences et les discriminations LGBTphobes".

Dans cette affaire, elle s'est opposée à la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) qui avait rejeté sa plainte relative au traitement par la société SNCF Connect de données relatives à la civilité de ses clients lors de la vente en ligne de titres de transport (décision CNIL du 23 mars 2021). 

Elle a saisi le Conseil d'Etat qui a lui-même saisi la CJUE (Cour de justice de l'union européenne).

La CJUE a rendu un arrêt le 9 janvier 2025, objet du présent commentaire.

Cette décision de la CJUE est présentée comme historique pour les droits des LGBT+ en Europe par l'association Mousse.

 

Le collecte de la civilité : politesse d'usage, atteinte aux droits ou enjeu politique ?

Lors de l'achat de leurs titres de transport, SNCF Connect exige de ses clients d'indiquer obligatoirement leur civilité en cochant la mention « Monsieur » ou « Madame ».

Pour l'association militante, cette mention n'est pas nécessaire pour l'achat d'un billet de train.

Selon l'association Mousse, cette collecte ne repose sur aucun des fondements prévus par le RGPD, méconnaît les principes de minimisation de la collecte des données et d'exactitude et enfin, la SNCF ne respecte pas les exigences en termes de transparence et d'information. Elle soutient que l'entreprise ne devrait pas recueillir de telles données ou devrait, à tout le moins, proposer une ou plusieurs possibilités supplémentaires, telles que " neutre " ou " autres ".

 

En droit

Les données à caractère personnel doivent être traitées de manière adéquate, pertinente et limitée à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (RGPD art. 5, 1-c). Ce principe de « minimisation des données » implique que les données à caractère personnel collectées soient limitées à ce qui est strictement nécessaire.

En droit, en l'absence de consentement de la personne concernée, le traitement est licite s'il est nécessaire, notamment, à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie (art. 6, 1-b) ou aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers (art. 6, 1-f du RGPD). Seuls ces deux fondements avaient semble-t-il été envisagés par SNCF Connect. C'est donc sur la base de ces deux fondements invoqués que la Cour apprécie.

 

Questions posées par le Conseil d'Etat à la CJUE

Au départ, le Conseil d'Etat avait été saisi de cette question lors de la contestation de la décision de la CNIL par l'association Mousse. Le Conseil d'Etat à formulé une demande de décision préjudicielle à la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) par décision du 21 juin 2023 (CE 21-6-2023 n° 452850). En clair, le Conseil d'Etat a sursis a statué et a interrogé la CJUE en lui posant deux questions :

"1. Peut-il être tenu compte, pour apprécier le caractère adéquat, pertinent et limité à ce qui est nécessaire de la collecte de données au sens des dispositions du c) du paragraphe 1 de l'article 5 du RGPD et la nécessité de leur traitement au sens des b) et f) du paragraphe 1 de l'article 6 du RGPD, des usages couramment admis en matière de communications civiles, commerciales et administratives, de sorte que la collecte des données relatives aux civilités des clients, limitée aux mentions " Monsieur " ou " Madame ", pourrait être regardée comme nécessaire, sans qu'y fasse obstacle le principe de minimisation des données
2. Y a-t-il lieu, pour apprécier la nécessité de la collecte obligatoire et du traitement des données relatives à la civilité des clients, et alors que certains clients estiment qu'ils ne relèvent d'aucune des deux civilités et que le recueil de cette donnée n'est pas pertinent en ce qui les concerne, de tenir compte de ce que ceux-ci pourraient, après avoir fourni cette donnée au responsable de traitement en vue de bénéficier du service proposé, exercer leur droit d'opposition à son utilisation et à sa conservation en faisant valoir leur situation particulière, en application de l'article 21 du RGPD"

Usages et conventions sociales

Dans leurs observations écrites respectives, SNCF Connect et le gouvernement français avaient fait valoir que, afin d’apprécier la nécessité d’un traitement de données à caractère personnel, il y a lieu de tenir compte des usages et des conventions sociales propres à chaque État membre, en particulier pour préserver la diversité linguistique et culturelle.

Mais la CJUE a considéré que :

  • l'article 6, 1-f du RGPD "ne prévoit pas la prise en compte des usages et des conventions sociales aux fins d’apprécier le caractère nécessaire d’un traitement", précisant que cet article doit faire l’objet d’une interprétation restrictive (arrêt du 4 octobre 2024, Koninklijke Nederlandse Lawn Tennisbond, C‑621/22, EU:C:2024:857).
  • "il est loisible au responsable du traitement de respecter ces usages et conventions sociales en utilisant, à l’égard des clients qui ne souhaitent pas indiquer leur civilité ou de manière générale, des formules de politesse génériques, inclusives et sans corrélation avec l’identité de genre de ces clients".

Adaptation des services

SNCF Connect a fait valoir que le traitement de données en cause poursuivait une seconde finalité, à savoir l’adaptation des services de transport pour les trains de nuit, comportant des voitures réservées aux personnes ayant une même identité de genre, et pour l’assistance aux passagers en situation de handicap. Cette finalité d’adaptation des services de transport pouvant nécessiter de connaître l’identité de genre des clients concernés.

Mais la CJUE a considéré que " cette seconde finalité ne saurait justifier le traitement systématique et généralisé des données relatives à la civilité de l’ensemble des clients de l’entreprise concernée, y compris les clients voyageant de jour ou n’étant pas en situation de handicap. En effet, un tel traitement serait disproportionné et, à ce titre, contraire au principe de minimisation des données (...) dès lors qu’il aurait pu se limiter aux données relatives à l’identité de genre des seuls clients qui souhaitent voyager en train de nuit ou bénéficier d’une assistance personnalisée en raison d’un handicap."

 

Droit d'opposition

Selon l'article 21, paragraphe 1 du RGPD : "La personne concernée a le droit de s’opposer à tout moment, pour des raisons tenant à sa situation particulière, à un traitement des données à caractère personnel la concernant fondé sur les points e) ou f) de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement, y compris un profilage fondé sur ces dispositions. Le responsable du traitement ne traite plus les données à caractère personnel, à moins qu’il ne démontre qu’il existe des motifs légitimes et impérieux qui prévalent sur les intérêts ainsi que les droits et libertés de la personne concernée, ou pour la constatation, l’exercice ou la défense de droits en justice."

Mais la CJUE considère que l’existence éventuelle d’un droit d’opposition supposent l’existence d’un traitement licite. L'existence d’un droit d’opposition ne saurait être prise en considération aux fins de l’appréciation de la licéité et, en particulier, de la nécessité du traitement de données à caractère personnel en cause au principal. "Cette interprétation est confirmée par l’objectif poursuivi par le RGPD, qui est, à la lumière du considérant 10 de celui-ci, d’assurer un niveau élevé de protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel." 

 

Solution juridique

Selon la CJUE : " Ainsi, l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du RGPD, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 1, sous c), de celui-ci, doit être interprété en ce sens que le traitement de données à caractère personnel relatives à la civilité des clients d’une entreprise de transport, ayant pour finalité une personnalisation de la communication commerciale fondée sur leur identité de genre, ne paraît ni objectivement indispensable ni essentiel afin de permettre l’exécution correcte d’un contrat et, partant, ne peut pas être considéré comme étant nécessaire à l’exécution de ce contrat."

 

 COMMENTAIRE


Dans cette affaire, le Conseil d'Etat aura le dernier mot, même s'il ne fait guère de doute qu'il suivra la décision de la CJUE.
Cette décision semble être limitée aux traitements de données réalisées sans le consentement de la personne concernée. Il n'en demeure pas moins que cet arrêt a une portée symbolique majeure.

Comment se positionnera la SNCF ?
Va-t-elle supprimer toute référence à la civilité ? Ou conserver la civilité en laissant à chacun le choix d'y répondre ? Ou si un recueil de genre s'impose ou apparait souhaitable, y ajouter " non genré " ou des choix dits non binaires tels que " neutre " ou " autre " comme l'invite l'association Mousse 

Sur un plan juridique, la question concerne le caractère nécessaire ou non de la collecte de certaines données, dont la civilité. Ce souci de la précision juridique poursuit un objectif protecteur eu égard aux risques liés à l’utilisation des données personnelles. 
Mais à l'évidence, cette affaire dépasse la simple discussion juridique et nous rappelle que le droit peut-être un outil militant et l'illustre sur une question qui divise : celle du genre.

Une majorité de nos contemporains s'étonne. Chacun pourrait donc décider iel-même de son genre qui ne serait pas nécessairement binaire ? Dans cette vision déconstructive, l'inclusion est perçue comme un outil visant à corriger (rééduquer) une réalité humaine perçue comme subie et consécutive à l'inadaptation de la société à des besoins ultra-personnels. En somme, il n'appartiendrait pas à une personne de s'adapter à la société, mais davantage à la société de s'adapter à chaque personne ? Dans cette vision, cette affaire sonne comme un pas supplémentaire vers l'archipellisation, un prosélytisme révolutionnaire destructeur du vieux monde, avec l'appui des plus hautes institutions européennes. Elle illustre la détermination d'une minorité "éveillée" ("woke") qui n'est pas d'abord en lutte contre big brother, mais contre tout autre chose. Il s'agit d'une forme de terreur rouge, arme employée contre une classe vouée à périr et qui ne s'y résigne pas (Trotsky).

D'autres, minoritaires, considèrent qu'il appartient à chacun (chacun.e) de se définir comme un homme, une femme ou autre. Toute opposition à cette conception peut constituer une intolérable et scandaleuse discrimination. 

Il semble que dans ce schéma déconstructeur, les droits soient quelque peu déconnectés des devoirs.
La médaille n'aurait qu'une seule face, celle des droits. Une vision platiste en quelque sorte. Car quel est le sens des droits sans les devoirs ? 
Pour Simone Weil, "la notion d'obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n'est pas efficace par lui-même, mais seulement par l'obligation à laquelle il correspond ; l'accomplissement effectif d'un droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui (....) Un homme considéré en lui même a seulement des devoirs (...)" (L'Enracinement, Simone Weil).

L'arrêt de la CJUE commenté ici précède de quelques semaines une décision importante de la Cour suprême britannique du 16 avril 2025 qui juge que la définition légale d’une femme repose sur le sexe biologique et non sur le genre : "La décision unanime de cette Cour est que les termes 'femme' et 'sexe' dans la loi sur l'Egalité de 2010 se réfèrent à une femme biologique et à un sexe biologique", assurant que les personnes transgenres étaient protégées par la loi sur l'Egalité de 2010, "non seulement contre la discrimination par le biais de la caractéristique protégée du changement de genre, mais aussi contre la discrimination directe, la discrimination indirecte et le harcèlement liés à leur genre acquis".
Le Journal Le Monde qualifie cette décision de "très sensible qui pourrait avoir des conséquences importantes pour les femmes transgenres au Royaume-Uni."

Affaire à suivre.

CJUE 9-1-2025 aff. 394/23, Assoc. Mousse c/ Cnil

Conseil d'Etat, 21 juin 2023

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